Paris, 19 juin 2024 – Après des mois de crise, le marché immobilier français semblait enfin montrer des signes de reprise. Mais l’instabilité politique actuelle menace de compromettre ces frémissements d’amélioration. La récente dissolution de l’Assemblée nationale a provoqué une hausse des taux d’intérêt de la dette de l’État, passant de 3 % à environ 3,20 % à 3,25 %. Cette nouvelle donne pourrait bien aggraver la crise immobilière en cours, déjà sévèrement touchée par la montée des taux d’intérêt depuis janvier 2022.
Une crise sans précédent depuis 2022
Le secteur immobilier français traverse une période de crise depuis le début de l’année 2022. En un peu plus de deux ans, les taux d’intérêt ont grimpé de 1 % à 4 %, déclenchant une vague de faillites parmi les agences immobilières. Le président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), Loïc Cantin, tire la sonnette d’alarme. « Nous anticipons jusqu’à 1 400 liquidations d’entreprises pour l’année 2024, dépassant le record de 1 385 faillites enregistré lors de la crise des subprimes de 2009 », a-t-il déclaré.
Les agents immobiliers, en première ligne de cette crise, subissent de plein fouet les conséquences économiques. Le nombre d’agents commerciaux, souvent indépendants et rémunérés à la transaction, a chuté de plus de 15 % en moins d’un an, passant de plus de 90 000 à moins de 79 000. En revanche, le nombre de salariés du secteur est resté relativement stable, avec environ 66 000 cartes professionnelles recensées en avril 2024.
Un marché des transactions paralysé
« Le marché des transactions immobilières est paralysé depuis un certain temps, et la situation s’est aggravée depuis le début de l’année. Cette stagnation est en grande partie due à l’incertitude économique engendrée par l’instabilité politique. En période d’incertitude, les individus hésitent à investir dans l’immobilier, que ce soit pour acheter une nouvelle résidence ou, a fortiori, pour investir dans des biens locatifs. Le marché locatif souffre particulièrement de cette situation, avec un manque criant de nouveaux biens disponibles », explique Jean-Marc Connen, administrateur de bien et agent immobilier à Echosplus.
« Nous avons la chance d’être administrateurs de biens, ce qui signifie que nous ne nous limitons pas aux transactions immobilières. Nous bénéficions ainsi d’un portefeuille de gestion locative, qui offre des revenus récurrents. Cela nous protège des fluctuations importantes du marché. Tous nos confrères qui se consacrent à l’administration de biens parviennent à survivre, contrairement à ceux qui se concentrent uniquement sur les transactions, pour qui la situation est extrêmement difficile », ajoute-t-il
Baisse des transactions et dépréciation des prix
La crise actuelle se manifeste également par une baisse significative des transactions immobilières. Le nombre de ventes devrait se stabiliser autour de 800 000 en 2024, une diminution de près d’un tiers en deux ans. « Ce phénomène ne s’est produit qu’une seule fois en cinquante ans », rappelle Loïc Cantin, en référence à la crise des subprimes de 2008-2009. La baisse des transactions s’accompagne d’une diminution des prix immobiliers, prévue entre 5 % et 7 % pour cette année.
La production de crédits, qui atteignait 22,6 milliards d’euros en mai 2022, a chuté à 8,7 milliards en mars 2024, soit un montant divisé par trois en seulement deux ans. Cette baisse drastique affecte lourdement le pouvoir d’achat des Français et le financement des ménages. La FNAIM observe néanmoins un léger redémarrage de la production de crédits depuis mars, mais les récentes élections européennes pourraient fragiliser cette reprise.
Au niveau national, les prix immobiliers ont baissé de 3,8 % en moyenne sur un an. À Paris, la situation est encore plus critique avec une baisse de 7,7 % en un an et de 14 % depuis la crise sanitaire. La chute des prix est particulièrement marquée dans les arrondissements périphériques de la capitale. « La baisse des prix sur un an concerne presque tous les territoires et toutes les régions », précise Cantin.
Instabilité politique : un facteur aggravant
La dissolution de l’Assemblée nationale et la progression de l’extrême droite aux élections européennes accentuent l’incertitude. « Les marchés réagissent à l’instabilité politique, ce qui peut entraîner une crise du crédit et une crise financière dans notre pays », avertit Cantin. La FNAIM, tout en jouant son rôle d’arbitre et de médiateur, reste en désaccord avec les positions du Rassemblement national, notamment sur la préférence nationale.
La FNAIM reste prudente quant aux perspectives d’avenir. « La baisse des transactions devrait se poursuivre jusqu’à fin 2024, pour une reprise attendue courant 2025 », prédit Loïc Cantin. La stabilisation des taux d’intérêt, prévue autour de 3,5 % au cours du troisième trimestre 2024, pourrait offrir un répit au marché. Cependant, seul le temps dira si ces ajustements suffiront à relancer durablement le secteur.
Interrogé sur les mesures à prendre pour redynamiser le secteur, Jean-Marc Connen affirme qu’il est « essentiel que les politiques redonnent la priorité à l’investissement locatif et à l’investissement immobilier de manière plus générale. Cela passe par la réintroduction de la déduction des intérêts d’emprunt pour les particuliers achetant une résidence principale, ainsi que par l’établissement d’un véritable statut de bailleur, incluant toutes les aides fiscales auxquelles un bailleur pourrait prétendre. Actuellement, la propriété privée est fortement taxée. De plus, Monsieur Macron, qui a transformé l’impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière, se montre un adversaire résolu de la propriété privée dans le domaine locatif », conclut-il.
Le marché immobilier français est confronté à des défis majeurs. La combinaison d’une instabilité politique croissante et de taux d’intérêt élevés continue de peser lourdement sur le secteur. Les acteurs du marché immobilier devront naviguer avec prudence et anticipation dans ce contexte incertain, en espérant une stabilisation à l’horizon 2025.