Jordan Bardella, chef de file du Rassemblement National (RN) pour les législatives, a relancé une idée controversée lors de sa conférence de presse ce lundi. Le RN souhaite en effet empêcher les personnes possédant une double nationalité d’occuper des postes stratégiques au sein de l’État, notamment dans les secteurs de la sécurité et de la défense.
« Nous n’entendons pas remettre en cause la double nationalité (…). En revanche, nous entendons effectivement réserver un certain nombre d’emplois stratégiques dans les secteurs notamment liés à la sécurité et à la défense exclusivement à des citoyens français », a déclaré Jordan Bardella. Cette mesure, selon lui, vise à protéger les intérêts nationaux et à prévenir les risques d’ingérence étrangère.
En particulier, Bardella a mentionné les exemples de Franco-Russes travaillant dans des postes sensibles au ministère des Armées, soulignant le besoin de garantir la loyauté des personnes occupant ces fonctions cruciales.
Une mesure discriminatoire et controversée
Cette proposition, bien que présentée comme limitée, n’a pas manqué de susciter de vives réactions. Marine Le Pen, finaliste de la présidentielle, a tenu à préciser sur le réseau social X que « les doubles nationaux » pourront « occuper TOUS les emplois dans la fonction publique, bien sûr ». Elle a ajouté que la restriction ne concernerait qu’une liste réduite de postes très sensibles, régulièrement mise à jour en fonction des enjeux géopolitiques.
Cependant, la mesure est perçue comme discriminatoire par de nombreux responsables politiques de gauche. Boris Vallaud, député socialiste, a dénoncé une proposition « raciste » qui créerait des « sous-citoyens ». « En République, c’est l’excellence d’un parcours qui permet de devenir haut fonctionnaire, pas la ‘pureté’ d’un arbre généalogique », a-t-il réagi.
Une proposition anticonstitutionnelle
Sur le plan juridique, des experts estiment que cette proposition pourrait se heurter à la Constitution. Citée par l’AFP Gwénaële Calvès, professeure de droit public à Cergy-Pontoise, a affirmé que cibler les binationaux est « totalement inconstitutionnel ». Elle a également pointé que de nombreux pays ne permettent pas de renoncer à leur nationalité, ce qui rendrait la mise en œuvre de cette mesure particulièrement complexe.
De son côté, Serge Slama, professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes, a mis en garde contre les recours possibles devant la Cour européenne des droits de l’Homme ou le Conseil d’État, évoquant l’impraticabilité de la proposition.
Plus de 3,3 millions de personnes concernées
Environ 3,3 millions de personnes en France disposeraient d’une double nationalité, selon l’Institut national d’études démographiques (Ined). Bien que les données datent de 2008, elles indiquent que plus de 40 % des immigrés vivant en France possèdent la nationalité française.
Actuellement, la binationalité n’empêche pas l’accès aux emplois publics, y compris ceux dits « de souveraineté » (diplomatie, défense, budget), réservés aux citoyens français. Les ressortissants européens peuvent également devenir fonctionnaires s’ils réussissent les concours, tandis que les ressortissants non européens peuvent être employés en tant que contractuels.
La proposition du Rassemblement National de restreindre l’accès des binationaux à certains emplois sensibles a relancé le débat sur la préférence nationale. Présentée comme une mesure de sécurité nationale, elle est perçue par ses détracteurs comme discriminatoire et inconstitutionnelle. Alors que le RN défend cette initiative comme nécessaire pour protéger les intérêts français, son adoption et sa mise en œuvre restent incertaines face aux nombreux défis politiques et juridiques.