Après douze longues années de retard, le réacteur nucléaire EPR de Flamanville, un projet-phare d’EDF, entre enfin dans une phase décisive. Dans la nuit de lundi à mardi, EDF a annoncé le lancement de la phase de « divergence », marquant ainsi le début de la première réaction en chaîne de fission nucléaire. Une avancée qui, bien que tardive, constitue une étape cruciale pour la production d’électricité nucléaire en France.
« La phase de divergence a commencé. Cette opération va faire battre le cœur du réacteur pour la première fois », a déclaré EDF dans une vidéo publiée sur X (anciennement Twitter). La divergence est une étape critique, car elle initie la réaction en chaîne de fission nucléaire, le processus essentiel pour produire de l’électricité.
Un projet marqué par les retards et les dépassements de coûts
Le chantier de l’EPR de Flamanville a connu de nombreux déboires techniques et financiers. Initialement prévu pour être opérationnel en 2012, le projet a accumulé un retard de 12 ans, dû à une série de problèmes, notamment des fissures dans le béton, des anomalies dans l’acier de la cuve, et des défauts de soudure. Ces difficultés ont fait grimper la facture à 13,2 milliards d’euros, soit près de quatre fois le coût initialement estimé. En 2020, la Cour des comptes avait évalué le coût total à 19 milliards d’euros en incluant les surcoûts de financement.
« C’est la première fois depuis 25 ans qu’on construit un nouveau réacteur en France. Nous avons perdu des compétences, il a fallu réapprendre », explique Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheuse en physique nucléaire au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) au micro de franceinfo. Selon elle, la complexité de l’EPR et les compétences requises pour mener à bien un tel projet expliquent en partie ces retards.
La montée en puissance : une progression par étapes
Avec l’autorisation de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en poche, EDF a désormais le feu vert pour entamer la production des premiers électrons de l’EPR. Toutefois, la mise en service complète du réacteur devra encore patienter. « Un programme d’essais permettant d’atteindre un niveau de puissance de 25% sera mis en œuvre », a précisé EDF dans un communiqué. À ce stade, le réacteur sera pour la première fois connecté au réseau électrique national et commencera à produire de l’électricité, une échéance prévue d’ici la fin de l’automne 2024.
« Pour aller au couplage, on parle de la fin de l’automne, parce que devant nous, on a un programme assez conséquent de tests », déclare à la presse Régis Clément, directeur adjoint de la division production nucléaire d’EDF. Il a également souligné que la montée en puissance se fera « par paliers successifs », une méthode prudente visant à assurer la sécurité et l’efficacité du réacteur.
Un réacteur hors normes
Avec une capacité de 1.600 MW, l’EPR de Flamanville se positionne comme l’un des réacteurs les plus puissants au monde. « Sa puissance est exceptionnelle. Avec 1,6 gigawatt, le réacteur peut alimenter 2 millions de personnes, c’est colossal », s’enthousiasme Emmanuelle Galichet. Elle souligne également l’importance de ce projet pour la France : « Il était important de démontrer que l’on savait produire et mettre en service un EPR (…) c’est l’un des objets industriels les plus complexes au monde ».
Un nouveau souffle pour la filière nucléaire française
Le démarrage de l’EPR de Flamanville intervient à un moment clé, alors que le président Emmanuel Macron a annoncé la relance du nucléaire en France. Le gouvernement a commandé six nouveaux réacteurs EPR2, avec une option pour huit supplémentaires, consolidant ainsi la place du nucléaire dans le mix énergétique national. Bien que l’EPR de Flamanville ait été lancé bien avant cette annonce, son entrée en service revêt une importance symbolique dans ce contexte.
En parallèle, EDF a revu à la hausse ses prévisions de production nucléaire pour 2024, les portant à une fourchette de 340 à 360 TWh. Cette augmentation s’explique par une meilleure performance des autres réacteurs du parc français, en particulier grâce à la maîtrise des contrôles et des réparations liées aux problèmes de corrosion sous contrainte. « Les 56 autres réacteurs performent mieux que ce qu’on avait intégré », a précisé Régis Clément, ajoutant que « la production de l’EPR arrivera en supplément ».
Le début de la divergence à l’EPR de Flamanville marque un tournant pour EDF et pour le secteur nucléaire français. Après des années de retards et de surcoûts, le réacteur est enfin prêt à contribuer à l’approvisionnement énergétique du pays. « C’est historique », conclut Emmanuelle Galichet, soulignant l’importance de cet accomplissement pour la France et pour l’industrie nucléaire mondiale.