Le débat sur la réduction du déficit public français s’intensifie. Lors de son discours de remerciement jeudi dernier, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a réitéré l’objectif du gouvernement : ramener le déficit public sous les 3 % du PIB d’ici 2027. Une ambition que Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, juge irréaliste. Invité vendredi sur Franceinfo, l’ancien ministre de l’Économie a exprimé de sérieuses réserves sur la faisabilité de cette mesure.
110 milliards d’euros de coupes : « politiquement, ça ne passe pas »
Pour Moscovici, atteindre cet objectif nécessiterait des coupes budgétaires trop lourdes, à hauteur de 110 milliards d’euros en seulement deux ans. « Je pense qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas le faire », a-t-il déclaré. « On part de 5,6 % de déficit pour arriver à 3 % en deux ans. Cela impliquerait de faire plus de 110 milliards d’euros de coupes. Politiquement, ça ne passe pas. Socialement, ça fait mal. Et économiquement, ce n’est pas intelligent. »
Le magistrat financier pointe du doigt les conséquences d’une telle réduction brutale des dépenses publiques. Selon lui, couper massivement dans les dépenses affecterait la consommation et ralentirait la croissance économique. « Si vous retirez des dizaines de milliards d’euros de la consommation chaque année, ça ralentit la croissance et cela nous oblige à faire encore plus d’économies, car les recettes diminuent », a-t-il expliqué. Selon Moscovici, il est plus réaliste de viser un retour à la norme des 3 % à l’horizon 2029, plutôt que 2027.
La dette publique en danger
Le premier président de la Cour des comptes a également tiré la sonnette d’alarme sur l’évolution de la dette publique, qui pourrait, selon lui, passer de 110 % du PIB actuellement à 124 % en 2027, si aucune mesure structurelle n’est adoptée. « Concrètement, on tangenterait les 3 800 milliards d’euros de dette. Chaque année, nous devrions rembourser plus de 80 milliards d’euros pour financer cette dette et les taux d’intérêt qui l’accompagnent », a prévenu Moscovici.
Cette charge financière croissante constitue un obstacle majeur aux investissements publics, qu’il s’agisse de la transition écologique, de l’amélioration du système éducatif, ou encore de la modernisation des infrastructures. « Comment voulez-vous investir si vous utilisez 80 ou 85 milliards d’euros à rembourser la dette ? Il n’y a pas de dépense publique plus bête que celle-là : c’est la plus inutile qui soit », a-t-il martelé.
Des réformes nécessaires, mais pas d’austérité
Malgré ces critiques, Pierre Moscovici n’appelle pas à une austérité brutale. Il reconnaît la nécessité de réaliser des économies, mais estime que celles-ci doivent être ciblées pour ne pas dégrader la qualité des services publics. « Quand on a 57 % du PIB consacré à la dépense publique, il y a des gisements d’économies possibles sans dégrader le service public », a-t-il assuré. Parmi les pistes évoquées, Moscovici a proposé de concentrer les aides à l’apprentissage sur les publics les plus défavorisés ou les titulaires de baccalauréats et de CAP, ce qui pourrait générer plusieurs milliards d’euros d’économies.
Le premier président de la Cour des comptes insiste sur l’importance de prendre des mesures correctives pour redresser les finances publiques, tout en évitant de nuire à la croissance et à la cohésion sociale. « Il ne s’agit pas de prôner l’austérité, mais de faire des économies intelligentes », a-t-il souligné.
Un flou autour du budget 2024
Sur un plan plus pratique, Pierre Moscovici a exprimé son inquiétude quant à la gestion du calendrier budgétaire par l’exécutif. Alors que le projet de loi de finances doit être déposé d’ici le 1er octobre, Moscovici déplore ne toujours pas avoir reçu de document à examiner. « Nous n’avons toujours pas reçu le projet, et à priori, ce ne sera pas pour aujourd’hui. Nous ne savons pas quand il arrivera », a-t-il regretté.
Il rappelle que la Cour des comptes a besoin d’au moins sept jours pour analyser le projet et formuler un avis pertinent, ce dernier étant crucial pour le processus législatif. « Il reste une semaine ou deux pour que nous ayons 70 jours de débat », a-t-il précisé, en espérant que la situation se débloque rapidement. « Ce que j’aimerais, c’est qu’on nous prévienne, qu’il y ait un peu de transparence dans tout ça », a-t-il ajouté.
Des finances publiques dans une situation préoccupante
Dans l’ensemble, Pierre Moscovici se montre très pessimiste quant à l’état actuel des finances publiques françaises. « Nous avons une situation des finances publiques qui est dégradée, préoccupante. Si on n’agit pas, elle peut devenir inquiétante, voire dangereuse », a-t-il averti. Le déficit, qui devrait atteindre 5,6 % du PIB à la fin de l’année, pourrait encore se creuser l’année prochaine, pour atteindre 6,2 %, selon une note du Trésor.
Face à cette situation, Moscovici appelle à une prise de conscience rapide et à des actions concrètes pour éviter que la dette publique ne devienne incontrôlable. Il rappelle que la France est déjà sous la surveillance de la Commission européenne pour déficit excessif, une situation qui pourrait se prolonger si les engagements budgétaires ne sont pas respectés.
« Bruno Le Maire dit qu’il faut faire 3 % en 2027. On ne peut pas et on ne doit pas », conclut Pierre Moscovici, soulignant une fois de plus que des coupes massives dans les dépenses ne sont pas la solution aux problèmes structurels des finances publiques françaises.