C’est devant une salle comble et un public survolté que Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, et Patrick Martin, président du Medef, ont débattu ce week-end lors du Forum Social de la Fête de l’Humanité. Dans un climat tendu, où les attentes étaient élevées, le patron des patrons s’est montré plus conciliant que prévu, étonnant une assistance majoritairement acquise à la cause syndicale.
Alors que les « Sophie ! Sophie ! » résonnaient déjà dans la salle dès l’entrée des deux intervenants, Patrick Martin, peu familier de ce genre d’exercice, a tenté de calmer les esprits dès son introduction. « Je vais commencer par vous remercier de votre accueil, je suis assez impressionné, je dois dire », a-t-il déclaré, visiblement soucieux de faire bonne figure dans un environnement hostile.
Cette entrée en matière n’a toutefois pas empêché les divergences d’apparaître rapidement, notamment sur des sujets centraux comme les retraites, les salaires, et la réindustrialisation. Pourtant, le ton du débat est resté courtois, loin des échanges musclés que certains auraient pu anticiper.
Retraites : un Medef ouvert au dialogue ?
Dès les premières minutes, Patrick Martin a surpris en admettant que « le modèle social de répartition a donné de beaux résultats », une déclaration qui a suscité un léger étonnement dans l’assemblée, mais aussi un haussement de sourcil de la part de Sophie Binet. Loin de renier ce système cher à la CGT, le président du Medef a appelé à sa pérennisation.
Cependant, il a rapidement tempéré ses propos : « Sauvegarder la répartition, oui, mais pas à n’importe quel prix. » Pour lui, la réforme des retraites, âprement critiquée par la CGT, reste la solution pour garantir l’équilibre financier du système, même s’il rejette fermement l’idée de rétablir la retraite à 60 ans.
De son côté, Sophie Binet n’a pas manqué de souligner l’importance de préserver le pouvoir d’achat des salariés. Selon elle, la réforme proposée par le gouvernement, soutenue par le Medef, ne fait qu’aggraver les inégalités.
Salaires : des promesses, mais des désaccords
Sur la question des rémunérations, Patrick Martin a de nouveau tenté de surprendre son auditoire. « Au risque de vous surprendre, je suis pour l’augmentation des salaires », a-t-il affirmé, provoquant des applaudissements dans la salle. Mais l’enthousiasme a vite laissé place à la déception lorsque le président du Medef a détaillé son plan : « Cette hausse doit être financée par une baisse des cotisations sociales, afin de ne pas alourdir le coût du travail. » Une proposition immédiatement rejetée par Sophie Binet, qui a rappelé que ces cotisations sont indispensables pour financer les régimes sociaux.
« Ici, on ne dit pas charges, on dit cotisations », a-t-elle sèchement rétorqué sous les acclamations du public, soulignant l’importance des termes dans un débat où chaque mot compte. Malgré ces divergences, l’échange est resté courtois, et même ponctué de sourires, notamment lorsqu’il s’est agi d’évoquer les autres sujets brûlants de la soirée.
Réindustrialisation et énergie : des points d’accord
Sur certains sujets, des accords inattendus ont émergé. Concernant la réindustrialisation, par exemple, les deux figures ont reconnu la nécessité de renforcer le tissu industriel français. « L’Europe a ouvert grand les portes sans s’être dotée de champions industriels, et cela s’est traduit lourdement », a regretté Patrick Martin. Sophie Binet a rétorqué en dénonçant la disparition du « made in France » : « Ce n’est pas vrai qu’on peut acheter français avec les salaires actuels, et il n’y a presque plus de made in France », a-t-elle martelé.
Autre sujet de consensus : la question de l’énergie. « Je suis nucléariste », a déclaré Patrick Martin, une position qui, fait rare, a trouvé un écho favorable chez Sophie Binet et la CGT, fervents défenseurs du nucléaire. Toutefois, la secrétaire générale de la CGT a proposé de suivre le modèle espagnol en sortant du marché européen de l’électricité : « Quand est-ce qu’on se met d’accord pour faire la même chose que l’Espagne ? », a-t-elle lancé.
Les exonérations d’aides publiques sous le feu des critiques
Les désaccords les plus vifs se sont cristallisés autour des exonérations fiscales et des aides publiques accordées aux entreprises. Sophie Binet a dénoncé ce qu’elle appelle « le dérapage » de ces exonérations, estimées à 170 milliards d’euros par an selon des chercheurs du Centre lillois d’étude et de recherche économique. « Vous nous coûtez un pognon de dingue ! », a-t-elle asséné sous les applaudissements du public.
Patrick Martin a tenté de se défendre en soulignant que ces aides étaient indispensables pour garantir la compétitivité des entreprises françaises. « Nous devons trouver une solution pérenne pour le financement de notre système social, mais sans amputer le pouvoir d’achat des salariés ni celui des entreprises », a-t-il insisté.
Un débat qui laisse des questions en suspens
À l’issue de près de deux heures de débat, la tension était palpable, mais le dialogue, malgré tout, s’est poursuivi sur un ton respectueux. Sophie Binet, en conclusion, a choisi de retenir les propos les plus conciliants de Patrick Martin. « Le 1er octobre, on va aller chercher dans la rue les augmentations de salaires que Patrick Martin nous a promises ! », a-t-elle lancé à la foule, dans un dernier élan d’enthousiasme.
De son côté, Patrick Martin, souriant mais quelque peu décontenancé, a préféré ne pas réagir à cette déclaration, laissant planer le doute sur ses intentions futures. S’il a multiplié les gestes d’ouverture, reste à voir s’il saura traduire ces paroles en actes.