Alors que la lutte contre la fraude sociale est souvent centrée sur les bénéficiaires des aides, un nouveau rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale met en lumière un constat troublant : la majorité des fraudes provient des entreprises et des travailleurs indépendants.
Un rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), commandé par l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, révèle des lacunes importantes dans la lutte contre la fraude sociale en France. Contrairement aux idées reçues, les entreprises et les travailleurs indépendants sont les principaux fraudeurs, représentant plus de la moitié des montants détournés, estimés à 13 milliards d’euros chaque année.
Les idées reçues battues en brèche
La fraude sociale est souvent présentée comme le fait des bénéficiaires de prestations sociales, comme les allocataires du Revenu de Solidarité Active (RSA). Pourtant, le rapport du HCFiPS montre une réalité bien différente. 56 % de la fraude provient des entreprises et des travailleurs indépendants qui ne s’acquittent pas de leurs cotisations sociales, contre 34 % pour les assurés sociaux. Une statistique qui renverse la perception populaire, alimentée par des débats souvent polarisés sur les « abus » des aides sociales.
Le rapport pointe du doigt l’inefficacité des méthodes actuelles de lutte contre la fraude. Si les contrôles et les sanctions sont au cœur des dispositifs, ceux-ci s’avèrent coûteux et n’atteignent pas leurs objectifs. « Le tout-contrôle n’est pas pleinement efficace », déclare Dominique Libault, président du HCFiPS. Pire, cette approche pourrait être contre-productive, en entravant l’accès aux droits pour les populations précaires, tout en ne s’attaquant pas suffisamment aux fraudes économiques.
Un des points les plus préoccupants du rapport est le rôle grandissant des micro-entrepreneurs dans la fraude sociale. Ces petites structures, souvent perçues comme inoffensives, jouent pourtant un rôle majeur dans les cotisations sociales non versées. Le HCFiPS met en garde contre « un risque plus important » dans ce secteur, qui profite parfois de failles législatives pour contourner ses obligations fiscales. La régulation de ces travailleurs indépendants devient donc un enjeu clé dans la lutte contre la fraude.
Le détournement du programme « 100 % Santé »
Le rapport fait également état de fraudes dans certains secteurs, notamment les dispositifs auditifs et dentaires. L’instauration du programme « 100 % Santé », censé améliorer l’accès aux soins, a donné lieu à des abus, malgré les alertes lancées avant son lancement. Certains professionnels de santé ont détourné le programme, conduisant à des surcoûts pour l’État. Dominique Libault souligne que les prévisions des audioprothésistes, qui avaient anticipé ces dérives, se sont révélées justes.
Des résultats insuffisants Malgré des efforts
Malgré les efforts déployés, le bilan reste mitigé. En 2023, 2,1 milliards d’euros de fraudes ont été identifiées, mais seulement 600 millions ont été recouvrés par les organismes de la Sécurité sociale. Une somme dérisoire face aux 13 milliards estimés perdus chaque année. Le rapport ne donne pas d’estimation précise des économies que les recommandations pourraient générer, mais il appelle à renforcer la prévention.
Pour Dominique Libault, il est urgent de repenser la manière de lutter contre la fraude. « Si on reste aussi efficace dans la lutte contre la fraude, mais qu’on améliore la prévention, cela peut avoir des impacts significatifs », déclare-t-il, tout en se montrant prudent sur les promesses de résultats rapides. Plutôt que de renforcer uniquement les contrôles, le rapport propose d’instaurer des stratégies de prévention dès la mise en place de nouvelles réformes. L’objectif : éviter la création de « normes fraudogènes », ces règles qui, volontairement ou non, favorisent les abus.
Vers une réforme nécessaire
Le rapport du HCFiPS appelle à un changement radical de stratégie dans la lutte contre la fraude sociale. Il ne s’agit plus seulement de renforcer les contrôles, mais d’investir dans la prévention et d’adapter les législations pour éviter les abus avant même qu’ils ne surviennent.