Boukhalfa Yaici, directeur général du Green Energy Cluster, répond aux questions d’Echosplus au sujet de la stratégie adoptée par l’Algérie en matière d’énergies renouvelables, ainsi que de ses enjeux et perspectives de développement.
Un programme de développement des énergies renouvelables a été adopté par le gouvernement algérien. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur sa mise en œuvre et ses perspectives de développement ?
Après plusieurs reports depuis 2011, le programme algérien des énergies renouvelables a été véritablement lancé en février 2023 avec le déploiement de 3000 MWc via deux appels d’offres ouverts aux entreprises locales et internationales.
Le modèle utilisé est celui des projets de type EPC (Engineering Procurement and Construction), où l’entreprise publique Sonelgaz signe un contrat de construction avec une société spécialisée dans le solaire photovoltaïque. Cette entreprise est tenue de livrer son projet dans les délais convenus et au coût défini. Cela s’est concrétisé par la signature de 19 contrats pour des centrales solaires photovoltaïques allant de 50 MWc à 300 MWc.
Ces centrales seront installées sur les Hauts-Plateaux à travers 12 wilayas et raccordées au réseau interconnecté du nord. Quarante-deux pour cent de ces deux appels d’offres ont été remportés par des entreprises locales, seules ou en partenariat avec des entreprises internationales. Le reste a été attribué à des entreprises chinoises, soit seules, soit en groupements.
Un autre appel d’offre totalisant 280 MWc a été lancé à la fin de 2023, et les deux contrats (un de 200 MWc et un de 80 MWc) sont en phase de signature. Le projet de 200 MWc est un projet solaire PV avec stockage d’énergie via des batteries, destiné à alimenter une mine dans le sud-ouest algérien.
D’autres appels d’offres sont prévus dans les prochains mois pour une capacité similaire de 3000 MW. Cette seconde tranche aura un impact significatif sur le marché, car elle confirmera la mise en œuvre effective du programme des énergies renouvelables et le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables en Algérie. Pour rappel, le programme des énergies renouvelables vise à installer 15 000 MW d’ici 2035.
Les pouvoirs publics ont-ils établi une stratégie pour accompagner les opérateurs économiques, publics ou privés, dans la réalisation des projets de déploiement des énergies renouvelables dans le pays ?
La réponse est oui, car le programme des énergies renouvelables vise également à assurer une plus grande participation de l’industrie locale en imposant l’utilisation de produits et services disponibles en Algérie. Cela se traduit par un niveau d’intégration nationale qui garantit l’inclusion d’un contenu local réel dans les projets.
Pour les premières phases, un minimum de 35 % d’intégration locale est requis pour espérer remporter un ou plusieurs lots. Cette exigence concerne des équipements tels que les structures, câbles, transformateurs, ainsi que des services classiques. Il est prévu que ce contenu local soit renforcé grâce à de nouveaux investissements et/ou à l’extension des investissements existants.
En ce qui concerne l’investissement, les énergies renouvelables font partie des secteurs prioritaires bénéficiant d’un régime d’incitations, conformément à la loi sur les investissements de 2022. D’autres incitations, comme celles liées à l’open innovation, sont également accessibles aux industriels et entreprises du secteur.
Nous espérons que des mesures encore plus audacieuses, telles que la création de zones industrielles vertes alimentées par des énergies renouvelables, seront mises en place pour attirer des investisseurs désireux de réduire leurs émissions de carbone.
Qu’en est -il de l’apport de Green Energy Cluster Algeria ?
L’action du Cluster a été déterminante dans l’implémentation du contenu local et l’implication des acteurs locaux dans le déploiement du programme des énergies renouvelables. Actuellement, notre organisation travaille sur plusieurs axes stratégiques.
Le premier consiste à plaider pour la continuité du programme après les 3200 MW atteints, afin de garantir l’objectif des 15 000 MW d’ici 2035. Le deuxième axe vise à sensibiliser les pouvoirs publics et les parties prenantes pour rendre l’énergie solaire photovoltaïque éligible à un mécanisme de soutien pour les exploitations agricoles, en donnant la priorité à celles non raccordées au réseau électrique.
Le troisième axe cherche à élargir la segmentation du marché du solaire PV aux applications destinées aux secteurs industriels et tertiaires (Solar PV C&I), pour permettre aux industriels de réaliser des économies d’énergie et de réduire leur empreinte carbone. Enfin, le quatrième axe soutient les membres impliqués dans des projets de production d’hydrogène vert, en se positionnant sur l’amont de la chaîne de valeur, afin d’offrir un coût du kilowattheure vert compétitif à l’échelle régionale.
Ces efforts visent à promouvoir l’adoption des énergies renouvelables dans la production et l’utilisation de l’énergie dans le secteur économique, tout en mettant en avant nos membres, leurs innovations et leurs solutions.
« Notre objectif est également d’accompagner la transition énergétique de l’Algérie en jouant un rôle de facilitateur et de moteur pour la création de valeur dans l’économie émergente de l’hydrogène ».
Les institutions financières sont-elles actives dans le financement des projets en énergies propres ?
Pour l’instant, un financement de 3 milliards de dollars américains a été obtenu par Sonelgaz auprès de la Banque nationale d’Algérie (BNA). Ce montant servira à couvrir les premières tranches des 3200 MWc prévus. L’enjeu actuel est d’assurer la continuité du programme grâce à un financement mieux adapté, permettant à de nouveaux acteurs de participer à son déploiement. De nouveaux modèles de financement sont ainsi en discussion pour permettre une participation des opérateurs publics et privés, qu’ils soient nationaux ou internationaux.
L’ouverture au financement international est prévue dans le projet de loi de finances pour l’année 2025, et nous espérons qu’une mesure facilitant la participation de tiers étrangers sera adoptée, ouvrant ainsi la voie à un financement plus diversifié et mieux adapté aux objectifs des énergies renouvelables.
Par ailleurs, nous continuerons de privilégier le recours au contenu local dans les projets financés par des bailleurs internationaux, afin de garantir une plus grande création de valeur ajoutée locale et, surtout, davantage de création d’emplois.
Quels sont les freins qui persistent ?
La bureaucratie reste un obstacle majeur que les pouvoirs publics tentent de surmonter depuis des années. On peut également mentionner le faible tarif de l’électricité, l’un des plus bas au monde, qui décourage toute initiative visant à créer un marché dynamique. Cela freine l’innovation, la création de valeur ajoutée locale et complique la création d’emplois.
Quelle stratégie adopter, selon vous, pour parvenir à la décarbonisation de l’économie nationale ?
Le programme des énergies renouvelables est censé couvrir une grande partie des engagements de l’Algérie dans le cadre de l’Accord de Paris, qui prévoit une réduction de 7 % de ses émissions d’ici 2030. Cependant, cela pourrait s’avérer insuffisant face à l’augmentation annuelle de la demande énergétique, qui croît à un taux de 4,5 %, principalement dans le secteur résidentiel, sans oublier l’ambitieux programme de diversification industrielle dans des secteurs comme les mines, la sidérurgie et la pétrochimie.
« Il serait donc nécessaire d’élaborer un programme plus ambitieux axé sur l’efficacité énergétique dans le secteur du logement, ainsi que sur la révision des subventions énergétiques pour encourager des économies de gaz naturel ».
Le recours aux énergies renouvelables pourrait également permettre une transition progressive vers l’utilisation de l’électricité verte pour remplacer les sources de chaleur actuelles. Par ailleurs, d’autres réformes sont indispensables pour ouvrir davantage le secteur de la production d’électricité aux acteurs privés, tout en réorientant les investissements de Sonelgaz vers le renforcement des réseaux électriques. Ces derniers devront être modernisés pour intégrer une plus grande part d’énergies renouvelables, nécessitant plus de flexibilité et d’intelligence dans leur gestion.
Les partenariats avec des organismes, institutions ou opérateurs privés internationaux sont-ils essentiels pour atteindre les objectifs communs en matière de développement durable ?
Sans aucun doute, car ils permettent de tirer parti des bonnes pratiques dans ce domaine. Ils ouvrent également de nouvelles perspectives pour développer des modèles économiques innovants, tels que le modèle IPP (Independent Power Producer), qui implique une collaboration entre un investisseur et un distributeur d’énergie, ou le CPPA (Corporate Power Purchase Agreement),un contrat entre des fournisseurs d’énergie et des entreprises désireuses de réduire leur empreinte carbone, notamment pour se conformer à des mécanismes comme le CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism) de l’Union européenne. Il serait également pertinent que la vente d’électricité au niveau local soit libellée en monnaie locale.
Sur le plan réglementaire, certains modèles, tels que l’IPP ou les enchères, existent mais ne sont pas encore appliqués. Il serait judicieux de réexaminer ces mécanismes et de les mettre en œuvre, quitte à les ajuster par la suite. Bien qu’une évaluation des deux appels d’offres lancés en 2018 et 2022 ait probablement été réalisée, aucun rapport public n’a été publié à ce sujet, ce qui devrait changer pour instaurer davantage de transparence dans ce domaine.
L’arrivée d’investisseurs internationaux et de financiers multilatéraux devrait accélérer le déploiement du programme des énergies renouvelables, en apportant une expertise capable d’approfondir et d’améliorer les processus en place afin d’atteindre les objectifs fixés.
Le Salon et la Conférence Afrique et Méditerranée sur l’énergie et l’hydrogène (Napec) viennent de s’achever à Oran. Que retenez-vous de cette édition 2024 ?
Cet événement est une réussite dans la mesure où il a permis de répondre aux attentes de chacun, d’assurer une communication efficace sur l’ambitieux programme d’investissement du gouvernement à travers le ministère de l’Énergie et des Mines. Il a également facilité la signature d’accords entre les parties intéressées par les hydrocarbures, les énergies renouvelables et l’hydrogène vert.
Le sentiment qui s’est dégagé lors des échanges avec certains acteurs rencontrés est celui d’un optimisme, compte tenu des annonces et des projets en cours d’exécution.
