- Dans une tribune publiée dans Le Monde, plus de 80 personnalités demandent à l’État français de reconnaître la responsabilité systématique de la torture durant la guerre d’Algérie.
- Au cœur de ce débat, la conviction que la torture ne peut être imputée à une minorité de soldats, mais qu’elle s’inscrit dans un cadre institutionnel profondément défaillant.
Le 1er novembre 2024, une tribune publiée dans Le Monde par plus de 80 personnalités met en lumière la responsabilité de l’État français dans la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie (1954-1962). « Les conflits actuels ramènent nos consciences aux horreurs de la guerre. Lors de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, des crimes ont été commis sous la responsabilité des plus hautes autorités françaises », soulignent les signataires.
Ces voix s’élèvent pour rappeler que les atrocités commises ne peuvent être réduites à l’action d’une minorité de soldats, mais s’inscrivent dans un système institutionnel dysfonctionnel.
Un passé qui reste présent
La guerre d’Algérie a laissé des cicatrices profondes, tant sur le territoire algérien que dans la conscience française. En évoquant cette période, Jean-Paul Sartre avait écrit que les circonstances pouvaient transformer des victimes en bourreaux. Plus de 60 ans plus tard, cette réflexion résonne encore, alors que des acteurs de la société civile s’insurgent contre l’oubli de l’État.
La publication de l’« Appel du 4 mars » par 24 associations antiracistes, anticolonialistes et de défense des droits de l’homme marque un tournant. Elle exige une reconnaissance claire et sans équivoque de la responsabilité de l’État dans le recours systématique à la torture, soutenue par 83 citoyens et citoyennes. Parmi les signataires, l’avocat Henri Leclerc, récemment décédé, avait mis en garde : « L’État n’est ni fasciste ni raciste, mais il y a une faiblesse dans son contrôle qui permet le pire. »
La réponse évasive de l’État
Le président Emmanuel Macron a, par le passé, reconnu certains crimes d’État, comme l’assassinat de Maurice Audin en 2018. Toutefois, ces actes de reconnaissance sont souvent perçus comme insuffisants face à l’ampleur des atrocités commises. La tribune rappelle que l’utilisation de la torture ne peut pas être considérée comme le fait d’une poignée d’individus. Elle a été systématisée, théorisée et mise en œuvre avec l’aval des plus hautes instances de l’État.
Le recours à la torture a été justifié par une doctrine militaire, la « guerre contre-révolutionnaire », qui a trouvé ses racines dans les expériences des officiers revenant d’Indochine. Ce cadre, diffusé dans les écoles militaires, a légitimé des pratiques contraires aux valeurs républicaines. Selon les signataires, il est essentiel de comprendre comment « l’État, en tant que tel, s’est comporté devant les problèmes posés par la répression de l’insurrection algérienne ».
Le silence complice des institutions
La complicité silencieuse de l’armée et de la justice a permis à ces actes de perdurer sans réelle sanction. Des personnalités comme Paul Teitgen et Robert Delavignette ont dénoncé ces abus, mais leurs cris d’alarme sont souvent restés sans réponse. La tribune de Le Monde souligne que la reconnaissance de la torture doit aller de pair avec un examen critique du rôle des institutions françaises, qui ont, par leur inertie, contribué à la répétition des erreurs du passé. « Nous reconnaissons avec lucidité que, dans cette guerre, il en est qui, mandatés par le gouvernement pour la gagner à tout prix, se sont placés hors la République », ont déclaré les signataires.
Une nécessité historique
Les signataires de l’« Appel du 4 mars » insistent sur l’importance d’un retour sur cette période sombre de l’histoire française. Ils affirment qu’une reconnaissance claire des faits est indispensable non seulement pour la mémoire collective, mais aussi pour préserver les valeurs de la République. Ce n’est pas un acte de repentance, mais plutôt une réaffirmation de l’engagement envers les droits de l’homme. « Il ne s’agit pas de repentance, mais d’un acte de réaffirmation et de confiance dans les valeurs de la nation », rappellent-ils.
Alors que les résonances du passé continuent d’influencer le présent, l’appel à la reconnaissance des actes de torture durant la guerre d’Algérie est plus qu’une nécessité morale. Il s’agit d’une exigence pour bâtir un avenir fondé sur le respect des droits fondamentaux et l’intégrité de l’État. La société civile, en s’unissant autour de cette cause, espère inciter les institutions à reconnaître et à affronter ce chapitre difficile de l’histoire, condition sine qua non pour éviter que de telles dérives ne se reproduisent.
Premiers signataires : Nils Andersson, éditeur de « La Question », d’Henri Alleg, après sa saisie aux Éditions de Minuit, président d’Agir contre le colonialisme aujourd’hui (ACCA) ; Bertrand Badie, professeur émérite des universités ; Patrick Baudouin, avocat, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Florence Beaugé, journaliste ; Marion de Bollardière, membre de l’Association des anciens appelés en Algérie et leurs ami.e.s contre la guerre (4ACG) ; Rony Brauman, médecin, essayiste, ancien président de Médecins sans frontières ; Stanislas Hutin, membre de la 4ACG, a révélé publiquement la torture dans « Des rappelés témoignent » (1957) ; Evelyne Sire-Marin, magistrate honoraire ; Benjamin Stora, historien ; Catherine Teitgen-Colly, professeure émérite de droit public, membre de l’Association Josette & Maurice Audin.