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Dalel Tangour : « En tant que photographe, je suis profondément attirée par les jeux d’ombres que produisent les lumières »

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Dalel Tangour, figure emblématique de la photographie au Maghreb, partage avec Echosplus son univers créatif, son inspiration et son processus artistique unique. Ses œuvres, qui capturent avec une grande sensibilité l’âme de son époque, sont actuellement exposées à Ayn Gallery à Paris, jusqu’au 1er décembre 2024.

Votre parcours en tant qu’artiste a traversé plusieurs pays et cultures du Maghreb. Comment vos expériences en Tunisie et en Algérie ont- elles influencé votre approche de la photographie ?

La richesse de notre patrimoine architectural et de notre artisanat témoigne de la diversité et de la profondeur de nos héritages culturels. Chaque pierre taillée, chaque bijou ciselé et chaque objet fabriqué à la main porte en lui l’empreinte d’un savoir-faire transmis de génération en génération, illustrant à la fois notre unité et notre singularité.

Les costumes traditionnels, avec leurs couleurs éclatantes et leurs motifs uniques, incarnent la symbolique profonde des différentes régions. Chaque habit raconte une histoire, une appartenance, une fierté. Cette richesse, qui nous distingue, est également ce qui nous unit, car elle reflète une identité partagée, construite dans la diversité.

Lors de mes années de résidence à Alger, au début des années 1980, j’ai pu comparer et observer les rôles essentiels joués par nos mères dans la transmission de nos traditions, de nos coutumes et de notre patrimoine. Cette identité riche et plurielle est devenue une source majeure dans ma recherche artistique, centrée sur la mémoire et sa préservation. Mes photographies se veulent un regard poétique sur cette mémoire, une tentative de capturer ce qui, à la fois, nous ressemble et nous rassemble. À travers elles, je cherche à exprimer cette appartenance commune, ce fil invisible mais solide qui relie les peuples du Maghreb.

Dans ce travail, je retrouve les points communs entre les femmes de notre région, leur force, leur résilience, et leur rôle indispensable dans la continuité de nos traditions. C’est ce legs immatériel, profond et universel qui nourrit mon regard et guide mon exploration artistique.

Dans vos œuvres la lumière et l’ombre jouent un rôle central.  Comment utilisez- vous ces éléments pour explorer des thèmes tel que l’identité et la mémoire ?

En tant que photographe, je suis profondément attirée par les jeux d’ombres que produisent les lumières. Ce contraste prononcé entre lumière et obscurité est au cœur de ma démarche créative. Dans mes photographies en noir et blanc, je cherche à magnifier cette opposition, car elle est porteuse d’une grande puissance symbolique. Le passage brusque de la transparence à l’opacité dans la plupart de mes séries reflète bien cette tension entre ce qui est visible et invisible, entre ce qui est dévoilé et ce qui reste caché. Cette singularité, qui se joue sur le fil du contraste, revêt une intensité que je recherche activement dans chaque image, une quête de l’invisible qui se dévoile à la lumière.

Vous êtes l’une des premières femmes photographes à vous imposer en Tunisie. Quels défis avez-vous rencontré en tant que pionnière dans un domaine majoritairement masculin ?

Le chemin n’a pas toujours été facile, et les défis furent nombreux, notamment dans un milieu encore majoritairement dominé par des hommes. Cependant, la fin des années 1970 et 1980 en Tunisie étaient des années marquées par un vent de liberté et des acquis sociaux qui ont permis à des femmes comme moi d’oser s’impliquer dans des domaines peu accessibles jusque-là. En tant que jeune étudiante et photographe, j’étais davantage perçue comme un sujet de curiosité que comme une concurrente. Les questions posées à mon égard étaient souvent empreintes de respect, mais aussi de surprise, car l’acte photographique, à cette époque, était encore une pratique peu courante pour une femme.

Cependant, mon choix était clair : plutôt que de me concentrer sur l’esthétique pure de l’image, je voulais réfléchir à la photographie en tant qu’acte, en tant que langage. Je n’avais pas pour objectif de rivaliser avec mes collègues masculins, mais de proposer une réflexion personnelle, un regard unique sur le monde qui m’entourait. Ce choix m’a permis de m’imposer dans ce milieu, non pas en cherchant la compétition, mais en portant un regard différent sur la réalité et sur la manière de la capturer.

Comment avez-vous perçu l’évolution de la place des femmes dans le milieu artistique maghrébin depuis vos débuts ?

La photographie et le cinéma connaissent aujourd’hui un véritable boom, offrant une grande liberté d’expression. Ces médiums artistiques, intimement liés à l’évolution technique et technologique, sont propulsés par l’avènement des réseaux sociaux, qui ont transformé la manière dont nous créons et partageons des images. La jeune génération maghrébine excelle dans ce domaine, apportant une vision nouvelle et dynamique. Leur approche de l’image est différente : l’actualité, les préoccupations sociétales et les défis contemporains façonnent une esthétique nouvelle, propre à cette ère du 21e siècle. Cette génération redéfinit les codes de la narration visuelle, introduisant une dimension plus immédiate et interactive, qui se distingue des pratiques traditionnelles.

Pour moi, cette révolution des moyens d’expression, accompagnée d’une reconnaissance internationale croissante, a encore renforcé mon engagement dans la réflexion sur l’identité et la mémoire. Cette reconnaissance n’est pas seulement un honneur, mais aussi une responsabilité. Elle agit comme un catalyseur, me poussant à approfondir ma démarche artistique et à questionner sans cesse notre rapport à notre histoire et à notre héritage. Mon regard sur le monde reste guidé par des principes de pudeur, d’authenticité, de modestie et de simplicité, qui balisent ma manière d’aborder les choses. Ces valeurs me permettent de rester fidèle à mes racines, tout en étant ouverte aux évolutions qui façonnent notre époque.

En tant qu’enseignante en arts visuels quels conseils donneriez-vous aux jeunes artistes maghrébins qui souhaitent se lancer dans une carrière artistique ?

Soyez vous-même ! La sensibilité du regard est un engagement, une forme de responsabilité envers ce que l’on capture et ce que l’on choisit de montrer. Il est essentiel d’avoir un regard conscient, capable de ressentir et d’interpréter le monde de manière authentique. Ce regard, témoin de notre époque, nous permet de nous inscrire dans une démarche artistique véritable, loin des diktats et des influences extérieures. Notre identité et notre patrimoine, porteurs de nos racines et de nos histoires, balisent nos parcours et nos choix, guidant chacun de nos gestes créatifs.

Dans votre démarche artistique, il est important de rester contemporain, d’être en phase avec le monde qui vous entoure tout en puisant dans la richesse de vos origines. Cette richesse est une source inépuisable, un terrain fertile pour nourrir votre travail. Cependant, il est primordial de ne pas se laisser emporter par la frénésie du star système ou par les attentes imposées par la société de consommation. Ce modèle est une course effrénée, un piège dans lequel on risque de perdre son authenticité.

La photographie, elle, est tout autre. C’est un acte de création pur, une manière de voir le monde avec un regard neuf, sans se laisser envahir par des normes ou des tendances superficielles. C’est un moyen d’exprimer une vérité personnelle, un reflet de ce que l’on porte en soi et ce que l’on souhaite partager avec le monde

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