Écrivaine, Alice Kaplan enseigne la littérature à l’université de Yale, signe « Baya ou le Grand Vernissage », publié en France, aux États-Unies et en Algérie. Dans ce récit, elle nous invite à découvrir différemment le destin de Baya Mahieddine, devenue une icône de l’art moderne.
A travers ce livre, Alice Kaplan plonge dans les années 1940 et met en lumière le parcours fascinant de Baya, depuis son enfance jusqu’à son premier vernissage à la galerie Maeght à Paris. Rencontre
Qu’est-ce qui vous a attirée dans l’histoire de Baya Mahieddine et vous a donné envie de lui consacrer un livre ?
Ce sont ses gouaches qui m’ont tout de suite captivée : des couleurs étonnantes, des formes en mouvement, motifs de femmes, d’enfants, d’oiseaux et de fleurs, répétés avec des variations subtiles. En découvrant son univers, j’ai compris combien d’algériens la portent dans leur cœur : aimer l’Algérie c’est aussi aimer Baya. Plus tard, en explorant des archives à Aix-en-Provence, j’ai découvert toute une correspondance autour de son premier vernissage à la Galerie Maeght, en 1947 : À seulement 16 ans, entourée du Tout Paris, elle faisait preuve d’une dignité remarquable.
J’avais tout de suite envie d’écrire cette soirée, de la mettre en scène.
En retraçant le parcours de Baya, quelles leçons son histoire apporte-t-elle selon vous à la place des femmes dans l’art, notamment dans un contexte postcolonial ?
Que des femmes comme Baya aient disparu de l’histoire artistique et littéraire relève d’un phénomène mondial. La question se pose aujourd’hui : comment réparer cette injustice ? Elle est reçue par un public européen dans les années 40 avec un étrange mélange de dédain et d’éblouissement.
Certains journalistes français, donnant libre cours à des clichés sur la Kabylie, allaient même jusqu’à la qualifier de « petite-fille de sorcière ». Aujourd’hui, on veut honorer son talent, jusqu’à dire qu’elle aurait été plagiée par Matisse et Picasso. On a encore du mal à ne pas l’instrumentaliser au service d’une cause ou une autre, à la regarder en face.
De quelle manière espérez-vous que votre livre participe à redéfinir la place de Baya dans l’histoire de l’art moderne ?
J’ai voulu comprendre le chemin qu’a fait de Baya pour devenir artiste dans le contexte troublé de l’après-guerre. Elle absorbait tout ce qu’elle voyait et ressentait : l’art surréaliste, l’art islamique, l’artisanat Kabyle. Orpheline, elle s’inspire des rêves d’une mère disparue. Je ne la perçois ni comme une autodidacte ni comme outsider, elle est formée au sein de toutes ces écoles de tous ces courants. Qu’elle ait été tellement imitée, voire falsifiée, nous aide à reconnaître tout de suite la force d’un véritable Baya.
Si Baya était encore parmi nous aujourd’hui, quelle question aimeriez-vous lui poser ?
Elle été souvent très gênée par ceux qui voulaient qu’elle « théorise » son art. Pour ma part, j’aurais plutôt aimé passer une journée avec elle dans sa maison à Blida. D’abord pour la remercier. Je me suis sentie tout au long de mon travail portée par elle. Chez elle, la souffrance et la résilience se sont muées en une générosité sans faille.