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Rachid Koraïchi : « Pour moi, l’art va bien au-delà de la simple quête esthétique, il constitue une invitation à la réflexion et agit comme un puissant catalyseur de dialogue »

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Rachid Koraïchi, artiste plasticien algérien de renommée internationale, transcende les frontières culturelles et artistiques à travers des œuvres et des installations d’une rare profondeur.

Son travail, empreint de spiritualité et de symbolisme, invite à une réflexion sur l’histoire, la mémoire et l’humanité. Rencontre avec un artiste profondément enraciné dans son patrimoine, mais dont la vision transcende les frontières pour toucher à l’universel

Parlez-nous de « Le Jardin d’Afrique » et de votre réaction face à des tragédies comme le cyclone à Mayotte, où migration et drame humain se croisent.

Le Jardin d’Afrique, situé à Zarzis, en Tunisie, est un cimetière unique en son genre, dédié aux migrants disparus en Méditerranée. Conçu comme un jardin œcuménique, ce lieu de recueillement mêle harmonieusement art, symbolisme et spiritualité. Au cœur de cet espace, de majestueuses stèles commémorent deux souverains, père et fils, de la famille Koraïchi, qui régnèrent au XIIᵉ siècle au Daghestan. Ces stèles, symboles de protection, veillent sur les défunts, accompagnant leur repos éternel. Niché dans un écrin de verdure composé de luxuriantes plantations méditerranéennes, le site évoque les jardins du Paradis, une oasis de paix et de mémoire.

Ce projet, que j’ai intégralement financé — depuis l’acquisition du terrain jusqu’à sa conception et sa réalisation —, avait pour objectif de garantir une dernière demeure digne pour ces âmes anonymes, trop souvent oubliées. Le Jardin d’Afrique, premier cimetière privé au monde, incarne un rejet catégorique de l’indifférence face aux souffrances humaines.

Jardin d’Afrique à Zarzis, Tunisie : dernière demeure des migrants noyés en mer (Crédit photo R. Koraichi)

Inauguré en 2021 par Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, ce mémorial est aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial. En 2023, il a été honoré par le prestigieux Prix Aga Khan d’Architecture. Bien que temporairement fermé au public, ce lieu demeure un hommage vibrant aux migrants anonymes, ces damnés de la terre et de la mer, et dénonce avec force les tragédies migratoires contemporaines.

Le Jardin d’Afrique invite à une profonde réflexion sur les enjeux géopolitiques des migrations et sur notre responsabilité collective face à ces crises humanitaires. Par cette initiative, je souhaite offrir une réponse artistique et humaniste à la déshumanisation des corps et à leur disparition dans l’anonymat. C’est une œuvre de mémoire vivante, un hommage à nos frères africains, et un appel à l’action pour ne pas oublier les drames de notre époque.

Votre art mêle graphie, spiritualité et symbolisme universel. Comment ces influences façonnent-elles votre vision du rôle de l’art aujourd’hui ?

Mon travail est souvent associé à la calligraphie, mais il me semble important de préciser que je ne suis pas calligraphe. Mon approche repose avant tout sur l’exploration de la graphie, des symboles, des fragments et des traces. Si j’utilise l’écriture arabe, c’est pour réinventer ses formes et véhiculer des idées universelles qui dépassent les frontières culturelles. J’ai eu l’opportunité de collaborer avec des calligraphes talentueux, tels qu’Hassan Massoudy ou Kamal Ibrahim, mais ma démarche reste résolument celle d’un plasticien. Je m’exprime à travers différents médiums, incluant la sculpture, la tapisserie, la gravure, la peinture et le dessin.

Le symbolisme occupe une place centrale dans mon travail, tissant des liens profonds entre la spiritualité et les enjeux contemporains. Pour moi, l’art va bien au-delà de la simple quête esthétique ; il constitue une invitation à la réflexion et agit comme un puissant catalyseur de dialogue.

Je suis particulièrement sensible à la marginalisation de l’art africain, trop souvent enfermé dans des catégories ethniques ou culturelles réductrices. Bien que cet art ait inspiré des figures emblématiques comme Picasso, Delacroix ou Matisse, il reste sous-estimé dans sa dimension universelle. À travers mes créations, je m’efforce de déconstruire ces stéréotypes, en célébrant l’art africain comme un héritage vivant, riche et universel, capable d’établir un dialogue avec toutes les cultures.


Le Vigilant, cette sculpture honore les Algériens victimes de la répression coloniale, en particulier ceux jetés dans la Seine, Parc Georges-Valbon à la Courneuve. ( crédit photo R Koraïchi)

Vous explorez souvent les thèmes de la migration et de l’humanité universelle. Selon vous, en quoi l’art peut-il transformer les perceptions de ces crises mondiales ?

L’art est une forme de résistance pacifique, une arme silencieuse mais d’une puissance extraordinaire pour dénoncer les injustices et créer des espaces de dialogue. Il donne une voix à ceux qui en sont privés et met en lumière des luttes souvent reléguées dans l’ombre.

Un exemple de cette approche est le grand livre « Une Nation en Exil », une œuvre dédiée à la Palestine, réalisée en collaboration avec le poète Mahmoud Darwish. Ce projet s’appuie sur une sélection de poèmes écrits entre 1966 et 1984, offrant un témoignage poignant de l’expérience de l’exil palestinien. Acquis par le British Museum, les gravures sont présentées sur un mur monumental de sept mètres de long et cinq mètres de haut. Cette œuvre dépasse le cadre traditionnel, incarnant une nouvelle approche ; un dialogue intime entre poésie et art plastique, dans une fusion unique dans le cadre du concept, une œuvre, un artiste. Elle célèbre la richesse littéraire de Darwish tout en portant un message puissant sur la condition palestinienne.

L’art possède cette capacité de rendre les tragédies visibles, en éveillant la conscience collective face à des réalités trop souvent occultées. Il unit mémoire et espoir, transformant chaque spectateur en témoin engagé et, potentiellement, en acteur du changement.

 Rachid Koraïchi dessine le cimetière de l’île sainte  Marguerite. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants algériens ont été déportés sans procès, ni jugement (crédit photo R.Koraichi)

Quels sont vos prochains projets, et comment reflètent-ils vos préoccupations actuelles, artistiques et humaines ?

Je suis actuellement engagé dans plusieurs projets qui prolongent ma démarche artistique et humaniste. Parmi eux, une série de grandes pièces textiles en coton égyptien, imprégnées de symbolisme et réalisées avec une grande précision. Ces œuvres incarnent mon attachement profond à l’universalité et à la puissance évocatrice de l’art, tout en réaffirmant l’importance du dialogue entre mémoire et spiritualité.

Je finalise également un lieu de mémoire sur l’île Sainte-Marguerite, dédié aux indigènes détenus comme otages pendant la colonisation, une initiative qui s’inscrit dans ma volonté de redonner une visibilité et une dignité aux récits oubliés. Par ailleurs, je travaille sur un projet en Andalousie, dont les détails demeurent pour l’instant confidentiels.

Ces réalisations traduisent toutes un objectif constant, celui de préserver la mémoire collective et de rendre hommage aux oubliés de l’histoire. Elles témoignent d’un engagement artistique, spirituel et humain, visant à inscrire dans le temps, les traces des luttes, des souffrances et des espoirs. Une démarche essentielle à la construction d’un avenir plus éclairé, fondé sur la reconnaissance et le respect de nos héritages communs.

Parmi ses créations :

« Le Jardin d’Orient », conçu au Château d’Amboise, un vibrant hommage à la famille de l’Émir Abdelkader, symbole de résistance et de dialogue interculturel.

« L’Enfant Jazz », « l’Avenue de la Guerre », inspirée par l’enfance de Mohamed Dib durant la lutte pour l’indépendance algérienne, témoigne de son engagement à retracer des mémoires souvent oubliées.

« Les Sept Dormants », une série d’ouvrages dédiés aux moines de Tibhirine, tragiquement assassinés en 1996, Koraïchi s’engage dans une quête universelle de réconciliation et de paix face à la haine et à l’intolérance.

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