Anaïs PLACE, avocate spécialisée en droit des étrangers, de la nationalité et droit de l’immigration professionnelle répond aux questions d’Echosplus sur l’accord franco-algérien de 1968, amendé en 1985, 1994 et 2001.
En quoi consiste cet accord international réservé aux ressortissants algériens ? Les réformes législatives récentes offrent telles plus d’avantages aux ressortissants algériens comparativement au droit commun ?
Quels sont les grands principes sous tendus dans l’accord franco-algérien de 1968 ?
L’accord franco-algérien de 1968 établit un cadre juridique spécifique et exclusif pour les Algériens souhaitant séjourner en France. Ce régime particulier se distingue du droit commun applicable aux étrangers et définit des règles propres à l’entrée et au séjour des ressortissants algériens sur le territoire français.
Conformément à cet accord, les algériens doivent présenter un passeport en cours de validité accompagné d’un visa délivré par les autorités françaises pour entrer sur le territoire français. Pour un séjour de moins de trois mois, un visa court séjour est exigé. Pour un séjour de plus de trois mois, un visa long séjour, aussi appelé visa d’installation, est nécessaire. Ce dernier, une fois accordé, permet de demander un certificat de résidence algérien en France (c’est-à-dire un titre de séjour). La durée de validité de ce certificat est fixée par les dispositions spécifiques prévues dans l’accord : un an ou dix ans.
L’installation durable en France est donc soumise à un contrôle préalable par les services consulaires français. Ce processus permet de vérifier le projet d’installation avant l’entrée sur le territoire, sauf exceptions expressément prévues par le texte. L’accord franco-algérien constitue ainsi une base juridique essentielle pour encadrer et théoriquement faciliter les relations migratoires entre les deux pays.
Quels avantages l’accord franco-algérien offre-t-il aux ressortissants algériens par rapport au droit commun ?
Certaines dispositions de l’accord franco-algérien offre aux ressortissants algériens des dispositions plus favorables que celles prévues par le droit commun français en matière de séjour et de régularisation. Par exemple, le regroupement familial est accessible après seulement un an de séjour régulier en France, contre 18 mois pour les autres étrangers.
En ce qui concerne la régularisation, les Algériens bénéficient d’un droit spécifique après dix années de présence continue en France. Ils peuvent alors obtenir un certificat de résidence d’un an portant la mention « vie privée et familiale ». Ce droit n’existe pas pour les ressortissants d’autres États tiers à l’Union européenne.
Pour les conjoints de Français, l’accord prévoit également des avantages significatifs. Contrairement au droit commun, le renouvellement du premier certificat de résidence algérien n’est pas conditionné à la preuve d’une vie commune. De plus, si cette vie commune est maintenue, un certificat de résidence de dix ans est délivré après seulement un an de séjour, contre trois ans pour les autres ressortissants étrangers, et sans obligation de démontrer un niveau d’intégration républicaine.
Les parents algériens d’enfants français bénéficient aussi d’un régime plus favorable. Ils peuvent obtenir un certificat de résidence d’un an s’ils exercent l’autorité parentale ou s’ils subviennent aux besoins de leur enfant, là où le droit commun impose de remplir ces deux conditions simultanément.
Par ailleurs, en théorie, l’accord facilite l’installation des commerçants algériens en France. Ceux-ci ne sont pas tenus de prouver la viabilité économique de leur projet, mais simplement son existence. Enfin, l’accès à une carte de résident de dix ans est simplifié par rapport aux critères posés par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Pour certaines catégories d’immigrés, cette carte est délivrée dès l’admission au séjour (jeunes entrés avant l’âge de 10 ans, bénéficiaires du regroupement familial lorsque le demandeur est lui-même titulaire d’un titre valable dix ans) ou après une année de séjour seulement (conjoint de français, parent d’enfant français, étrangers titulaires d’une rentre d’accident de travail ou de maladie professionnelle).
Pour d’autres elle est délivrée après seulement trois ans de séjour régulier, contre cinq ans pour les autres ressortissants étrangers, et sans avoir à démontrer leur intégration républicaine : c’est le cas des salariés, des commerçants ou encore des artistes.
L’accord franco-algérien se distingue également par l’absence de dispositions spécifiques permettant le retrait des titres de séjour pour trouble ou menace à l’ordre public, même si la jurisprudence a évolué ces dernières années et les tribunaux ont tendance à admettre que le préfet puisse refuser de renouveler un titre de séjour en cas de menace à l’ordre public.
Quels sont les principaux désavantages de l’accord franco-algérien de 1968 pour les ressortissants algériens en comparaison avec le droit commun ?
Bien que certaines dispositions soient effectivement favorables par rapport au droit commun, l’accord est globalement désavantageux pour les Algériens.
Tout d’abord, certains types de carte prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’existent pas dans l’accord et ne sont donc pas accessibles aux algériens. Ainsi, cet accord ne prévoit pas la délivrance d’un visa long séjour valant titre de séjour. Ainsi, les Algériens doivent obligatoirement demander un titre de séjour une fois arrivés en France, ce qui peut entraîner des démarches administratives plus lourdes.
De plus, l’accord ne prévoit pas la délivrance de cartes pluriannuelles (d’une durée de deux, trois ou quatre ans). Il se limite à l’existence de certificats de résidence algériens valables un an ou dix ans. Par ailleurs, il exclut également la délivrance de la carte de résident longue durée UE, qui facilite pourtant la mobilité en Europe.
L’accord de 1968 permet-il aux Algériens de bénéficier de la carte « talent » ?
Les cartes « talent » ne sont pas accessibles aux algériens car elles ne sont pas prévues par l’accord. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit la possibilité de délivrer des titres de séjour pluriannuels, notamment, aux salariés qualifiés (jeunes titulaires d’un Master 2 délivré en France) ou hautement qualifiés (hauts salaires), aux salariés d’une entreprise innovante, aux investisseurs, aux mandataires sociaux, aux artistes ou encore aux personnes jouissant d’une renommée internationale. Les titulaires d’une carte « talent » bénéficient du droit automatique à faire venir leur famille légalement sans passer par la très lourde (et très longue) procédure de regroupement familial. Les conjoints et enfants reçoivent ainsi une carte spécifique de membre de famille d’un titulaire de carte « talent », avec droit au travail.
Les Algériens ne peuvent pas bénéficier de ce dispositif très intéressant et particulièrement attractif pour l’immigration professionnelle qualifiée. Les conditions d’obtention de certains titres, et leur régime, sont également très stricts.
Contrairement au droit commun qui autorise les étudiants à travailler jusqu’à 60 % d’un temps complet sans formalités préalables, les étudiants algériens doivent demander une autorisation de travail s’ils souhaitent occuper un emploi dans la limite de 50% d’un temps complet.
Ils sont également défavorisés à l’issue de leur parcours estudiantin. En effet, l’accord ne prévoit pas la délivrance de carte « recherche d’emploi ou création d’entreprise ». Il s’agit d’une carte accessible dès la fin de leurs études, aux jeunes étrangers titulaires d’un Master ou d’un Doctorat dans le cadre du droit commun. Valable un an ; elle permet de travailler ou créer une entreprise et facilite le changement de statut.
En l’occurrence le changement de statut est d’autant plus difficile pour les étudiants que le Ministère de l’Intérieur considère qu’ils ne bénéficient pas de l’inopposabilité de la situation de l’emploi, dans le cadre de la demande d’autorisation de travail qui peut être faite par le futur employeur à la fin des études. Concrètement cela signifie que ledit employeur doit diffuser une annonce sur France Travail pendant au moins trois semaines, et justifier de son infructuosité pour obtenir l’autorisation d’embaucher un Algérien.
Ces démarches, bien plus lourdes qu’elles ne le sont pour embaucher un jeune étranger auquel le droit commun s’applique, sont un obstacle non négligeable à l’insertion des jeunes algériens diplômés en France, sur le marché de l’emploi.
Quelles sont les autres limitations et exclusions imposées par l’accord franco-algérien de 1968 par rapport au droit commun ?
L’accord exclut plusieurs mécanismes d’admission exceptionnelle au séjour qui existent dans le droit commun. En théorie, il ne permet pas la régularisation par le travail, même si la jurisprudence reconnaît que les préfets peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire dans certains cas. Les jeunes pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance ou les travailleurs exerçant des métiers en tension ne bénéficient pas non plus de régularisations spécifiques prévues par le droit commun. De même, aucune carte de séjour n’est prévue pour les anciens combattants algériens.
Des conditions plus strictes s’appliquent également pour obtenir un document de circulation pour mineur étranger. Contrairement au droit commun, où il suffit d’avoir un parent en situation régulière, l’accord impose des critères plus exigeants.