- Les transferts de fonds des Tunisiens à l’étranger atteignent des sommets, mais comment les transformer en véritable moteur d’investissement ?
- À Tunis, experts et décideurs tracent une feuille de route pour canaliser la puissance de la diaspora vers le développement durable.
À Tunis, les 24 et 25 septembre, un atelier régional coorganisé par le Bureau de la Commission économique pour l’Afrique du Nord et le ministère de l’Économie et de la Planification a réuni décideurs et experts autour d’un enjeu clé : transformer l’essor des transferts de fonds des Tunisiens à l’étranger en un véritable levier d’investissement et de développement. Alors que ces remises pèsent déjà près de 6,5 % du PIB, l’heure est à la structuration d’un cadre incitatif, de réformes ciblées et d’une feuille de route opérationnelle.
Un rendez-vous pour passer du constat à l’action
Pendant deux jours, l’atelier a disséqué la capacité du cadre réglementaire et institutionnel à faciliter l’orientation des transferts de fonds vers l’investissement, en s’appuyant sur le partage d’expériences entre pays membres et sur le renforcement de la coopération Sud-Sud. Objectif : faire des envois de fonds une source alternative et durable de financement du développement national.
Des chiffres en nette progression malgré les vents contraires
Malgré un contexte économique mondial tendu, les transferts des Tunisiens à l’étranger ont bondi de 136 % entre 2013 et 2023 (8 817 MDT en 2023 contre 3 721 MDT en 2013). La dynamique s’est confirmée en 2024 avec 8,2 milliards de dinars—soit près de 6,5 % du PIB—et se poursuit en 2025 : 5,79 milliards de dinars à fin août, soit +8,2 % par rapport à la même période de 2024. Selon les derniers indicateurs de la BCT, ces transferts ont crû de 4,6 % sur l’ensemble de 2024.
« Les transferts des Tunisiens vivant à l’étranger devraient augmenter de 6,4 % en 2026, pour atteindre environ 7 900 millions de dinars », a déclaré Lotfi Fradi, chef de cabinet du ministre de l’Économie et de la Planification.
Une résilience qui dépasse l’IDE et l’APD
Tendance de fond : à l’échelle mondiale, les remises migratoires se révèlent plus résilientes que d’autres flux comme l’IDE ou l’APD. Pour la Tunisie, l’enjeu est désormais de déplacer le curseur d’une consommation immédiate vers une accumulation de capital au service des PME, de l’innovation et des infrastructures sociales, tout en réduisant les coûts de transfert et en améliorant la transparence.
Une feuille de route en préparation pour 2026-2030
Dans la perspective du Plan national quinquennal 2026-2030, la Commission économique pour l’Afrique accompagne la Tunisie par un appui technique visant à intégrer un pilier stratégique dédié aux envois de fonds et à la mobilisation de la diaspora. L’objectif est de transformer ces flux en véritable levier de développement à long terme.
Parmi les pistes actuellement étudiées figurent la mise en place d’incitations fiscales mieux ciblées pour encourager les Tunisiens à l’étranger à investir, l’accès facilité aux prêts extérieurs grâce à des mécanismes de garantie adaptés, ainsi que la création de véhicules d’investissement innovants tels que des fonds dédiés à la diaspora, des obligations thématiques ou encore des plateformes de co-investissement capables de canaliser l’épargne vers des projets productifs et structurants.
La réflexion porte également sur la digitalisation des canaux de transfert, afin de réduire les coûts pour les expéditeurs et de garantir une meilleure traçabilité des flux financiers. En parallèle, une gouvernance renforcée est envisagée, reposant sur une coordination interministérielle plus efficace, un système de suivi-évaluation rigoureux et la mise en place d’indicateurs d’impact précis pour mesurer les résultats.
« Il faut mieux sensibiliser la diaspora à l’importance de transférer ses ressources et d’investir en Tunisie », a souligné Lotfi Fradi, appelant par ailleurs à développer les incitations fiscales, à faciliter l’accès aux prêts extérieurs et à créer des fonds d’investissement dédiés.
Des opportunités sectorielles à forte valeur ajoutée
L’État affirme offrir à la diaspora des opportunités d’investissement dans des activités prometteuses, en écho aux spécialités des Tunisiens à l’étranger : professions médicales, production de médicaments, informatique, développement logiciel et services.
« La communauté tunisienne résidant à l’étranger est aujourd’hui capable de lancer des projets d’investissement dans leurs régions et d’être un moteur de développement pour l’ensemble des régions intérieures », a ajouté Lotfi Fradi.
De l’intention à l’impact : trois chantiers prioritaires
Pour passer de l’intention à l’impact, trois chantiers prioritaires se dessinent. Le premier consiste à fluidifier et sécuriser les flux, en travaillant sur l’harmonisation du cadre réglementaire, en stimulant la concurrence entre les canaux de transfert et en agissant sur la baisse des coûts supportés par les expéditeurs.
Le deuxième chantier vise à orienter ces ressources vers l’investissement productif, à travers la mise en place de produits d’épargne-investissement accessibles, le développement de mécanismes de co-financement public-privé et un accompagnement renforcé des porteurs de projets. Enfin, un troisième axe porte sur la nécessité de mesurer et piloter l’impact de ces transferts, en déployant des tableaux de bord de suivi, des évaluations d’impact régionales et une transparence accrue quant à l’usage des fonds mobilisés.
